99.
Le 21 décembre au matin, Caitlin et Carroll reçurent de la visite à leur hôtel.
Leurs deux visiteurs étaient Anton Birnbaum et Samantha Hawes, l’enquêtrice du FBI qui avait aidé Carroll à Washington. La rencontre sut lieu dans une autre chambre, à l’étage de la suite des Carroll.
Un portrait cohérent de Green Band commençait à émerger. L’histoire qui se dessinait était bien différente de celle relayée par les médias.
— Les Douze, les Sages américains, sont les héritiers de l’OSS, nos services secrets pendant la Seconde Guerre mondiale, attaqua Birnbaum d’une voix qui semblait plus fluette de jour en jour. L’histoire est nébuleuse, mais on peut la reconstituer dans les grandes lignes… L’existence des Douze remonte aux années quarante, plus précisément à Dulles[26] et à sa répugnance à céder au gouvernement d’alors les pouvoirs dont disposait son réseau de renseignements pendant la guerre. Lorsque la CIA succéda à l’OSS, les Douze se mirent à se réunir en dehors des cercles officiels. Ils restèrent les hommes les plus puissants de la capitale fédérale. Au départ, ils donnèrent des conseils, puis ils s’attribuèrent progressivement un pouvoir décisionnel… L’OSS d’origine était la meilleure unité de renseignements que nous ayons jamais eue. Les Douze croient toujours constituer l’élite de notre pays. Ils sont convaincus l’avoir rendu un fier service à la nation en provoquant la crise de Cuba, la série des assassinats politiques, le Watergate et, aujourd’hui,
Green Band. Ils deviennent plus puissants d’année en année, de décennie en décennie.
Samantha Hawes prit la parole après Birnbaum. Elle avait mené sa petite enquête et disposait d’informations complémentaires sur Hudson.
— David Hudson a été contacté par au moins un des membres du Comité quand il faisait encore partie de l’armée, après le Vietnam, à l’époque où il était à Fort Bragg, révéla-t-elle. C’est le général Lucas Thompson, son ancien commandant, qui est entré le premier en contact avec lui. Thompson connaissait tout de son expérience de prisonnier de guerre. Il était également au courant de la formation que Hudson avait reçue avec les forces spéciales. Les renseignements de l’armée l’avaient entraîné pour qu’il devienne leur équivalent du terroriste Carlos. Ils l’ont laissé tomber quand il a perdu son bras. Le Comité, lui, a su parfaitement exploiter Hudson et ses compétences. Autre détail intéressant : c’est Philip Berger, directeur de la CIA, qui dirigeait la formation commando initiale de Hudson, à Fort Bragg. Plusieurs membres des Douze se sont exprimés lors de manifestations d’anciens combattants, ces dernières années. Les liens existent et la manipulation est parfaitement plausible… Hudson a bénéficié d’une aide considérable pour Green Band. Sous la forme de renseignements sur Wall Street et de tuyaux sur les progrès de notre enquête au 13. C’est grâce à cela qu’il a pu si facilement jouer au chat et à la souris avec nous. Il disposait également de dossiers provenant du Pentagone sur tous les anciens combattants qui étaient des candidats potentiels pour Green Band. Hudson a sélectionné des hommes qui avaient servi à ses côtés au Vietnam. Le Comité lui a promis des millions comme récompense…
— Oui, sauf que la moitié des vétérans membres de Green Band sont morts maintenant, fit remarquer Birnbaum. Les autres sont introuvables. David Hudson est introuvable. Je me demande bien où il est, en ce moment.
Caitlin s’était tue pendant presque toute la séance. Elle avait recueilli les informations financières nécessaires. Elle était en colère. Elle aussi avait été manipulée par ce Comité qui se croyait au-dessus du gouvernement, au-dessus des lois.
— Nous commençons à progresser, dit-elle finalement d’une voix calme. Mais nous sommes toujours confrontés à un problème majeur. À qui pouvons-nous nous fier, en dehors des personnes qui se trouvent ici dans cette pièce ? Est-ce que nous devons communiquer ce que nous savons à la presse ? Pouvons-nous nous adresser au FBI ? À qui allons-nous raconter notre histoire ?
Le silence régna dans la chambre. Ils commençaient tous à comprendre le pouvoir que quelques rares élus avaient entre les mains. Ils commençaient à comprendre le fonctionnement réel du système politique.
C’était ça, la vraie question, si simple et pourtant si extraordinairement épineuse. À qui confier la vérité ?